Arthur Cravan
B. Traven
Roberto Bolaño
DAVID COLLIN
Nacido en 1968, David Collin vive en Friburgo (Suiza). Productor en la radio cultural suiza (lengua francesa). Autor de dos novelas, Train Fantôme/Ghost train (Seuil, 2007) y Les Cercles mémoriaux (L'Escampette, 2012). Escribe regularmente en revistas, y participa en muchas publicaciones colectivas. Trabaja con artistas, especialmente con el escultor suizo Etienne Krahenbühl (Galeria Joan Gaspar). Y dirige en Ginebra una coleccion editorial sobre genocidios (Imprescriptible, Mētis Presses).
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POUR UNE GÉNÉALOGIE DES ÉCRIVAINS FANTÔMES
Arthur Cravan - B. Traven - Roberto Bolaño.
DAVID COLLIN
Ecrivains fantômes par définition, les nègres bénéficient en anglais de la belle appellation de ghost-writers. Auteurs sans visages, ces écrivains ne signent pas, ils consentent en se cachant derrière un nom qui ne leur appartient pas, à l’anonymat qu’impose le métier d’écrire à la place des autres. Ils s’effacent à l’ombre d’une personnalité, ils se mettent dans la peau d’un autre en ne risquant jamais la leur. Des êtres qui, face aux critiques comme face aux lecteurs, avancent toujours dissimulés derrière un paravent, dans le secret que leur impose cette fonction ingrate. Jusqu’au jour où le nègre en sait trop. Ainsi, dans L’Homme de l’ombre de Robert Harris, adapté au cinéma par Roman Polanski en 2010 (The ghost-writer), un nègre est assassiné. Curieux, son successeur qui transgresse la loi du secret et prend tous les risques, découvre au hasard de ses investigations des photographies qui l’intriguent, qui induisent une énigme. La résoudre tel un détective, en reliant les incipits des chapitres qu’avait rédigés son prédécesseur, le conduira à sa perte.
Il est possible d’ignorer l’écrivain fantôme en le considérant tout au plus comme un ouvrier du signe, efficace et missionné par un écrivain qui n’a pas le temps d’écrire, ou, comme c’est le cas en général, par l’auteur d’un livre futur qui n’est pas et ne sera jamais un écrivain. Mais que se passe-t-il quand nous avons à faire à deux écrivains face à face ? Forcément un duel s’opère dans l’ombre, tout est affaire d’ego et de signature encore, mais d’une manière plus sensible. C’est le cas d’Auguste Maquet à l’ombre d’Alexandre Dumas, dans le film L’Autre Dumas (2010) de Safy Nebbou. Comment ne pas être frustré d’écrire de la littérature pour un romancier sur lequel rejaillit toute la gloire ? Il est alors question de signature décalée, absente ou assumée par un autre. Et toujours par le plus célèbre des deux. On prête un plume comme on prête un nom, mais le patronyme de l’auteur véritable disparaît lui dans les limbes de la littérature.
Le nègre est cet écrivain fantôme à qui manque la parole. Un masque qu’il n’est pas facile de porter, même si devant la qualité dévoilée de leur plume, certains nègres obtiennent de leurs éditeurs de mettre en valeur le travail des écrivains de l’obscurité qu’ils sont devenus. En adoptant une double signature à l’intérieur de l’ouvrage. Il s’agit alors d’une collaboration à visages découverts. Assumée.
Certains écrivains, qui n’ont jamais été des ghost-writers professionnels, ont néanmoins recherché volontairement à s’effacer, à brouiller les pistes, à se retirer derrière une ou plusieurs figures d’eux-mêmes. Qu’on songe à l’exemple fameux de l’écrivain portugais Fernando Pessoa et à ses nombreux hétéronymes, parmi lesquels Alberto Caeiro, Ricardo Reis, Alvaro de Campos et Bernardo Soares, pour ne citer que les plus connus.
Imaginant écrire un jour une généalogie des écrivains fantômes, je me vois comme les pirates révoltés du navire des Monty Python dans Le Sens de la vie, aborder le territoire d’écrivains qui non seulement ont démultiplié leurs identités, mais qui, en quelque sorte, se succèdent de fantômes en fantômes, au point de susciter bien après leur mort supposée, de nombreuses enquêtes sur leur parenté, sur leur unicité, redoublant ainsi la figure bien connue de l’écrivain-détective, inhérente à la littérature. A titre d’exemple, je remonterai le fil d’une succession chronologique d’évènements troublants, et tenterai de reconstituer les trajectoires croisées de deux écrivains qui pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne.
L’histoire commencera avec Arthur Cravan, et pourrait s’arrêter à Roberto Bolaño, avec toutefois deux statuts très différents pour les deux auteurs. Le premier est réel, mais c’est aussi un personnage : Arthur Cravan est résolument un écrivain multiple et fantôme, c’est-à-dire qui n’a cessé de travailler à sa propre disparition, à sa légende. Spectre futur qui bénéficiait d’une forte présence de son vivant. On ne pouvait pas le manquer. Arthur Cravan défiait le monde sur les rings de boxe qu’il fréquentait. Avec le corps très présent du géant qu’il était, mais aussi par une identité multiple et fragmentée qu’il se plaisait à établir, et aussi à ne pas établir, à ne jamais rétablir, comme un défi à tout espoir futur de le reconnaître unique. Le second à être nommé, Roberto Bolaño, est un écrivain qui sut mieux que personne fabriquer dans ses nouvelles et dans ses romans, des personnages de poètes (tel Carlos Wieder dans L’Etoile distante) et de romanciers fantômes. Avec en outre, une vertu qui complexifie quelque peu l’idée de généalogie, puisque Bolaño semble s’être inspiré à plusieurs reprises du premier auteur de ma liste, Arthur Cravan, et d’un troisième auteur pas encore nommé mais qui pourrait être le même personnage, c'est-à-dire encore Cravan, et dont le double et successeur dans la ligne du temps serait B. Traven, expert en dissimulation de lui-même, écrivain, révolutionnaire et scénariste hollywoodien. Et ainsi, ces deux figures littéraires multiples et qui pourraient, je le répète, n’avoir été qu’un seul, auraient nourri Roberto Bolaño pour composer les traits d’une ultime créature de fiction, Benno von Arcimboldi, qui figure au centre de son dernier roman posthume, 2666.
Précisons avant de poursuivre que le principe de cet essai de généalogie littéraire se limite volontairement à ce rapprochement providentiel entre Arthur Cravan et B. Traven, figures ou figure, qui n’ont cessé d’inspirer Bolaño, même s’il n’en a apparemment jamais parlé ouvertement. Je dis « apparemment », pour conserver la cohérence d’un texte basé sur un principe d’incertitude absolue. Qui est qui ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Mais les écrivains fantômes, qui survivent plus longtemps que ne le dit en général leurs biographes, lorsqu’ils changent définitivement d’identité, maîtrisent l’art très savant de brouiller les pistes. Ils font même tout pour cela, et il vaut mieux n’avoir aucune certitude à leur propos, manière d’accueillir l’imprévu que nous pourrions rencontrer en chemin. On pourra plus tard rallonger la liste de ces écrivains, et étoffer notre propos avec d’autres noms fameux et de fameux inconnus. Tel Thomas Pynchon, romancier et homme invisible de la littérature américaine par exemple. Sans compter le cas très rare d’écrivains fantômes réciproques, chacun affirmant avoir écrit le livre d’un autre. Nous connaissons comme cela un exemple mettant en présence un romancier catalan célèbre et un écrivain français fasciné par différentes facettes de la destruction.
Revenons au sujet avant qu’il ne se perde dans les couloirs sombres de l’écriture fantôme, qu’il ne devienne vraiment le sujet d’un livre. Pour commencer, ou continuer de commencer, il faut suivre les traces de l’écrivain, faire la généalogie d’une signature, qui dans l’obscurité se transmet de main en main, de livres en livres, signature symbolique ou réelle quand il s’agit d’une seule et même personne. Car en définitive, ce qui passe entre les écrivains fantômes c’est une certaine habilité à disparaître, à se démultiplier pour se fondre dans l’anonymat – c’est l’une des stratégies possibles, utilisée par nos deux auteurs réfugiés à Mexico (Cravan et Traven), et par l’un des personnages de Bolaño, Carlos Wieder dont on suit la piste de Santiago du Chili à Barcelone, en passant par une infinité de cités révolutionnaires morbides. Pas morbides parce que révolutionnaires, mais parce que Wieder est à la fois l’un et l’autre, une sorte de révolutionnaire fiévreux aux cent mille vies, poète mécanique à ses heures (il écrit des poèmes dans le ciel à l’aide d’un Messerschmitt et de ses fumigènes) et tueur en série.
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Arthur Cravan est né le 22 mai 1887 à Lausanne, sous le nom de Fabian Avenarius Lloyd. Neveu d’Oscar Wilde, poète minimaliste dans la lignée des anarchistes, « aux cheveux les plus courts du monde », précurseur des dadaïstes, conférencier et performeur exhibitionniste, peintre, travesti, pugiliste, « chevalier d’industrie, marin sur le Pacifique (en route vers l’Australie), bûcheron dans des forêts géantes, chauffeur d’automobile à Berlin », boxeur de près de deux mètres de hauteur aux matchs truqués dont un célèbre combat qui eut lieu à Barcelone contre Jack Johnson, champion de France de sa catégorie, déserteur de l’armée britannique, critique d’art sans pitié et directeur de la revue Maintenant qui ne publie que ses propres pseudonymes, ami de Cendrars et de Duchamp, compagnon de la poétesse anglaise Mina Loy qui deviendra plus tard son épouse, Cravan aurait vécu à Lausanne, Zurich, Berlin, Londres, Barcelone et Paris, aurait voyagé dans les Balkans et l’Europe centrale, puis vers le Canada et l’Amérique – pour la petite histoire, durant la traversée il rencontre Léon Trotski avec qui il se lie d’amitié pour une durée indéterminée –, où il serait arrivé en 1917, à New-York, et serait mort – certain ont parlé d’un suicide – en octobre 1918 au large du Mexique, si l’on en croit ce qu’en ont dit Mina Loy et André Breton. Un récit basé sur des suppositions incertaines pour ne pas dire fausses, dédoublés par les affirmations contradictoires de Blaise Cendras qui affirmait que Cravan était mort dans une bataille sur le Rio Grande, à moins qu’il n’ait été tué d’un coup de couteau par un rival dans un bal à Mexico. Une disparition sans cadavre. Sans témoin.
Les premières années de B. Traven sont floues, imprécises. Elles font l’objet de nombreuses hypothèses. On assure que dans ses jeunes années Traven s’appelait Ret Marut. Pendant la Première Guerre mondiale, on enregistre ses données. Il se dit né le 25 février 1882 à San Francisco. Puis, de 1907 à 1915, on raconte qu’il aurait été acteur. On le suit à la trace, à la suite de suppositions croisées et parfois fortuites. Et on le retrouve révolutionnaire en Bavière. Il y dirige une « revue » d’agitation, Der Ziegelbrenner. Puis il s’efface en 1919 - quelques mois après la disparition présumée de Cravan. Il disparaît ensuite jusqu’en 1924. Aucune trace de lui entre 1919 et 1923. Brouillant les pistes entre Vienne, Berlin, Cologne, Amsterdam et Londres, Ret Marut se fond dans le paysage. Mais on sait qu’il débarque l’été 1924 au Mexique. Là, Marut laisse la place à Traven. Traven contre Cravan. Traven, Travan, Cravan, Craven. Traven, qui fut l’un des plus mystérieux écrivains du XXe siècle, auteur de plusieurs romans dont Le Vaisseau des morts et le fameux Trésor de la Sierra Madre, dont John Huston tira un film avec Humphrey Bogart dans le rôle principal. Le conseiller officieux sur le plateau de tournage s’appelle Hal Croves, également agent littéraire de Traven. Il apparaît un beau jour au milieu du désert. Artifices en cascades. Il s’avèrera plus tard que celui qu’on prenait pour son agent aurait été Traven lui-même, visitant incognito le tournage de son propre scénario. Notre auteur serait mort le 26 mars 1969 à Mexico. Sous le nom de Traven Torsvan, né si l’on croit son passeport, le 5 mars 1890. Mais on a également entendu parler de Traven sous le nom d’Albert Otto Max, d’Otto Freige, de Fred Mareth, et de bien d’autres. Une démultiplication de patronymes qui n’est pas sans rappeler les identités multiples d’un Pessoa. Se fractionner en plusieurs afin de mieux disparaître, telle est la tactique habile de l’écrivain légendaire. En définitive, on ne sut jamais l’âge réel de Traven, ni son nom véritable, ni son lieu de naissance. Certains crurent un temps que B. Traven était Jack London, Ambrose Bierce, le président du Mexique Adolfo Lopez Mateos, un groupe d’écrivains du Honduras, ou même un groupe de scénaristes de gauche d’Hollywood.
On peut considérer la généalogie des écrivains fantômes de deux manières. Soit une généalogie théorique où l’on verrait se succéder les écrivains les plus insaisissables de l’histoire de la littérature mondiale dans une suite d’apparitions indécises ; un passage de relais fantôme, une construction ; soit une généalogie possible par regroupements de figures en apparence séparées, mais qui pourraient n’avoir été qu’une seule et même personne. Par exemple Cravan et Traven. Le multiple, disparate et fantomatique se joint à son double pour ne former qu’un. La supposition est peut-être fantaisiste. Elle l’est assurément. Mais il convient parfois d’accepter la réalité dans ses aspects les plus invraisemblables.
Mille objections et un exemple soulevés par une assistance médusée : si Traven était la même personne que Cravan, alors comment expliquer la période 1905-1915 ? Facile, dirait le généalogiste créatif, facile pour l’écrivain fantôme qui sait que pour bien disparaître, il faut s’inventer des antécédents. Avant sa disparition, et avant de réapparaître. Sinon trop facile pour l’enquêteur de joindre une signature à une autre, de relier les dates et d’en conclure trop rapidement qu’il s’agit d’un même homme parce qu’on a su faire un collage élémentaire. On pourrait croire au contraire que l’écrivain fantôme est plus malin que cela. Il devient un autre, mais avant de le devenir, il s’imagine une vie avant sa disparition, et qui n’est pas totalement sans rapport avec sa nouvelle identité.
Dans une bande dessinée, qu’on appelle roman graphique aux Etats-Unis, Mike Richardson et Rick Geary, enquêtent en 2005 sur Cravan. Ils sont persuadés que Cravan n’est pas mort noyé, après s’être embarqué à bord d’un petit voilier à destination de Buenos Aires où l’attendait Mina Loy et leur enfant. Il est intéressant de relever qu’en couverture de ce roman graphique, Rick Geary représente Cravan sur les ruines de la Première Guerre mondiale, armé d’une plume géante en guise de fusil pour affronter ses ennemis, autrement dit le monde entier. Une plume pour signer de mille noms, pour distancer ses frasques et ses admiratrices, en somme pour refaire sa vie. Les auteurs émettent l’hypothèse que Cravan, poursuivi par le FBI, aurait été contraint de se faire passer pour mort et de se perdre dans la clandestinité. Ils relèvent plusieurs coïncidences et me permettent de nourrir les premiers pas d’une généalogie de deux écrivains fantômes, qui fondent leurs existences en une seule. Les coïncidences : l’apparition de B. Traven comme auteur, avec un roman publié en 1924, Le Vaisseau des morts, qui relate les aventures d’un jeune marin à bord d’un navire faisant route vers l’Australie ; son second roman, Le Trésor de la Sierra Madre, se passe au Mexique et fait sa gloire (Cravan disparaît au Mexique en 1918, Traven aurait été aperçu à Mexico en 1920, l’année où Mina Loy recherche activement son mari, dans les prisons, les asiles, les hôpitaux). En raison de sa renommée, Traven est recherché, demandé par tous. Et jamais il ne répondra aux sirènes de la célébrité. Au contraire, il fuira les journalistes et les curieux, épaissira le mystère, ne donnera aucune interview, n’autorisera aucune photographie de lui. Autres traits communs et coïncidences que les détectives associés énumèrent : Traven et Cravan sont nés tous les deux dans les années 1880 ; Cravan avait multiplié ses hétéronymes, dont certains très proches de Traven : Travers, Tavan. En 1917, Cravan se déshabille entièrement devant les jeunes femmes de la bonne société de New York. Il entend protester contre l’exclusion de l’urinoir de Duchamp d’une exposition d’art. Sur l’urinoir est écrit : R. Mutt. Très proche du premier nom de B. Traven : Ret Marut.
Toutes ces spéculations sont peut-être fausses. C’est le propre des spéculations que de pouvoir être basées sur rien, sur de fausses pistes. Tout pourrait venir d’un goût du mystère exacerbé, de l’étrange, de toujours vouloir dévoiler ce qui n’a pas existé, et de trouver des indices là où il n’y en a pas. Le propre de l’écrivain-détective ? Les biographes de Cravan et de Traven sont sans doute en grande partie responsables de cette confusion permanente. Premier pas vers l’objection du défenseur. En effet, à force d’explorer les ramifications infinies de vies déjà multiples, que les auteurs eux-mêmes se sont amusés à prolonger dans un inextricable labyrinthe de faux-semblants et de vraies aventures, on a vite fait de se perdre. Aussi, il serait facile de démonter telle ou telle affirmation un peu trop vite avancées. Par exemple, comment expliquer qu’Arthur Cravan écrive un roman en allemand en 1924 sous le nom de B. Traven ? Lui qui ne sait pas l’allemand, et qui n’écrit que de manière très fragmentaire. A cela, et avec un peu de malice, on rétorquera que la traductrice a très bien pu traduire depuis l’anglais vers l’allemand et non l’inverse, et qu’en six ans Cravan a eu le temps de se mettre au roman. Ou alors, version polar à la manière de Bolaño, on peut très bien aussi imaginer que Traven a rencontré Cravan en 1920 à Mexico, voire en 1918, qu’il l’a assassiné, et s’est ensuite inspiré de ses confessions pour se fabriquer un personnage.
Avec ces deux auteurs là, il est possible de tout dire et le contraire de tout, signer et contresigner. Mais dans l’histoire, la généalogie demeure. Le lien existe dans les correspondances infimes que l’on décèlera encore entre les deux auteurs, dans les dates proches, dans quelques lieux partagés. Et cela suffit pour un début, pour en finir avec les commencements. D’autant que certains admirateurs de Cravan (ceux qui ne se sont jamais intéressés à Traven, n’ont établi aucun lien entre eux), affirment que celui-ci serait réapparu après 1918 à Tahiti, au Japon, puis sous les traits du poète errant James M.Hayes / Dorian Hope aux Etats-Unis en 1919. Revenu en Europe en 1921 sous l’identité de Sebastian Hope et de B. Holland (comme B. Traven), on le voit encore à Paris en 1930, et le poète Brion Gysin avoue en 1940 : « je suis certain qu’il n’est pas mort ». Ainsi Arthur Cravan serait toujours vivant et le sera toujours ! (écho à son fameux article publié dans Maintenant et intitulé : « Oscar Wilde est vivant ») L’absence de corps accroit les chances de devenir immortel.
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Finissons sur le troisième homme, l’écrivain chilien Roberto Bolaño, qui d’après ses lecteurs, aurait été fort impressionné par les inventions littéraires de Borges, mais aussi par des personnages comme Cravan et Traven, dont il aurait pu s’inspirer pour dépeindre des héros ou anti-héros, poètes, artistes étranges et décalés, dont il suit les traces en faisant le même type de suppositions que j’ai évoqué précédemment. Ainsi le personnage de Carlos Wieder, poète et tueur dans L’Etoile distante, et qui comme Cravan et Traven échappe constamment à ses poursuivants. En éternel fugitif, il se refuse aux définitions, aux portraits-cadres qui l’enfermeraient dans un genre ou une morale trop étriquée. Autre cas dans 2666, le dernier roman de Bolaño qui se déroule au Mexique. En personnage central : Benno von Arcimboldi, un mystérieux romancier allemand, sur lequel travaillent quatre universitaires. Ils ne savent rien de lui sauf qu’il habite au Mexique. Le roman commence par une enquête. Il se termine par un récit de la vie d’Arcimboldi, qui débute en Allemagne pendant la guerre, et qui se termine sur des points d’interrogation, obligeant le lecteur à reprendre ce livre de 1000 pages depuis le début. Un cercle de vie et de mort recommence, comme devrait le faire cette généalogie des écrivains fantômes composées d’écrivains réels ou imaginaires, et qui ouvre là le premier chapitre de son histoire.
Bibliographie (très) sélective :
Roberto Bolaño : Etoile distante, Titres, Christian Bourgois, 2006.
Roberto Bolaño : 2666, Christian Bourgois, 2008.
Arthur Cravan : Maintenant, L’Ecole des lettres, Seuil, 1995.
B. Traven : Dans l’Etat le plus libre du monde, préface de Théodore Zweifel, Babel, Actes Sud, 1999.
B. Traven : Dans le Vaisseau des morts, Culte fictions, Editions la Découverte, 2004.
Bandes dessinées / romans graphiques :
Golo : B. Traven, portrait d’un anonyme célèbre, Futuropolis, 2007.
Mike Richardson et Rick Geary : Cravan, mystery man of the twentieth century, Dark Horse Books, 2005.
Philippe Squarzoni : Portrait inédit de Arthur Cravan, authentique neveu d’Oscar Wilde, poète boxeur, licencié es lettres, Le Neuvième monde, Paris, 2002.
Catalogue d’exposition :
Arthur Cravan, poète et boxeur, Galerie 1900-2000, Paris, 1992.
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