ENRIQUE VILA-MATAS LA VIDA DE LOS OTROS 
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Niágara (foto de DGF el 30-11-2012)






Niagara 2 (Foto de Dominique Gonzalez Foerster hecha el 30-11-2012)






Florence Noiville

ECHOUER ENCORE, ÉCHOUER MIEUX

FLORENCE NOIVILLE

Aimez-vous Brahms ? demandait jadis Sagan. Aimez-vous Dylan ? interroge aujourd'hui Enrique Vila-Matas. Non que le barde du Minnesota soit très présent dans le dernier livre du grand maître espagnol. Ni que sa musique y soit très audible - à vrai dire, on a beau écouter, on ne l'y entend guère... Non. C'est plutôt à une manière d'aborder la création en général que nous renvoie dans ces pages l'auteur de Bartleby et compagnie.

Car Dylan, n'est-il pas l'artiste qui se métamorphose et se réinvente sans cesse ? N'est-il pas « le gars qui, selon ses propres mots, a obligé le folk à coucher avec le rock » ? Pas étonnant que Vila-Matas ait donné à son héros - un de ses innombrables doubles - ce qu'il appelle « des faux airs de Dylan ». Car rares sont les écrivains qui, comme lui, auront autant hybridé les genres, subverti les codes, joué avec l'intertextualité et les emboîtements à la Borges. Rares sont les écrivains qui se seront à ce point délectés des brouillages entre le vrai faux et le faux vrai. Entre l'authenticité de l'art et les impostures de la vie...

Pourtant, Vila-Matas ne se contente pas d'être ce virtuose qui nous mène en bateau sur les eaux troubles du (men)songe. A chaque livre, « je prends des risques. De plus en plus de risques », nous confiait-il lors de son dernier passage à Paris. « Sans risque, ce que je fais n'aurait aucun sens », ajoutait l'auteur du Mal de Montano et Paris ne finit jamais (Christian Bourgois, 2003 et 2004).

Qui dit danger dit possibilité d'échouer. Mais c'est bien là la dernière des choses qui tracasse Vila-Matas. « Rappelez-vous la phrase de Beckett : «Fail, fail again, fail better.» Ce qui signifie : «Echouer, échouer encore, échouer mieux»... Pour moi, la littérature en général est synonyme d'échec. Triompher en littérature est horrible. C'est antipathique. Obscène, presque. Je laisse ça à Paolo Coelho... Non, l'échec est bien plus élégant. Plus proche de la vérité de la vie. Il est comme la préfiguration naturelle du destin de l'écrivain. »

Dans Air de Dylan, le héros lui aussi est tout entier captivé par la défaite. Il s'appelle Vilnius Lancastre. Il est barcelonais, cinéaste, jeune - il n'a pas plus de 30 ans - et il « considère l'indolence absolue comme l'un des beaux-arts ». D'une certaine façon, il est l'incarnation vivante de la phrase placée en exergue du roman : « J'ai tellement besoin de temps pour ne rien faire qu'il ne m'en reste plus assez pour travailler » (Pierre Reverdy).

Par ailleurs, comme on l'a déjà dit, Vilnius ressemble à Bob Dylan. Dans la rue, les gens le prennent pour le chanteur. Il rit de leur méprise mais cultive ce qui, selon lui, lui donne « un petit air d'artiste sans concessions. » Lorsque le roman s'ouvre, Vilnius vient d'intervenir dans un colloque en Suisse. Un colloque littéraire et universitaire sur « la notion d'échec ».

Voici à peu près les faits. Les faits tangibles. Quelques rares prises solides à partir desquelles le lecteur va devoir progresser en terrain de plus en plus mouvant. Car comme toujours, Vila-Matas tire les ficelles de plusieurs intrigues, ou amorces d'intrigues, à la fois - il faut bien plusieurs pistes pour pouvoir les brouiller à l'envi. Première piste : Vilnius a formé le projet de constituer des « archives de l'échec » tous azimuts. Seconde piste : avec son amie Debora, il veut réaliser la biographie fictive de son père, le célèbre écrivain Juan Lancastre. Au départ, c'était d'ailleurs Lancastre père qui était convié en Suisse. « Mais Juan Lancastre n'avait pu assister au colloque pour des raisons irrévocables » : il avait tiré sa révérence quelques semaines plus tôt, foudroyé par un infarctus, ce qui était dommage car il aurait été si bien placé pour parler de « l'échec humain par excellence » : la mort. Troisième piste : Vilnius veut retrouver l'origine d'une phrase utilisée dans un court-métrage : « Quand la nuit tombe, on a toujours besoin de quelqu'un. » Cette pensée est-elle de Fitzgerald, d'Erich Maria Remarque, d'un scénariste d'Hollywood ou de quelqu'un d'autre encore ? Voilà Vilnius et le lecteur lancés ensemble dans cette curieuse enquête...

Evidemment, d'autres sub-histoires viendront s'encastrer dans celles-ci comme des poupées gigognes. Par quel tour de passe-passe finiront-elles par se rejoindre ? De façon tout sauf banale, en tout cas. Car, comme le fait dire Vila Matas à l'un de ses personnages, « le genre réaliste est une convention morte, liée à une intrigue traditionnelle, avec des débuts et des dénouements prévisibles, des dialogues banals, des marquises qui sortent à cinq heures et tout le tralala. »

Ce qui est manifeste, c'est que cet Air de Dylan - « un hommage à Duchamp et son Air de Paris » - échappe sans difficulté au susdit « tralala ». C'est une expérimentation romanesque ironique, labyrinthique et parodique sur l'authenticité et le mensonge. Sur nos vrais visages et sur nos masques. Un livre réussi ? On n'irait pas jusque-là de peur de déplaire à l'auteur... Triompher en littérature ? Non voyons, quelle horreur !


*reseña de ‘Aire de Dylan’ publicada en Le Monde el 30.11.2012.

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